Collaborations

Anne Dambricourt Malassé

Paléontologie, Stomatologie et Radiologie,

Scanométrie, Modélisation, Biomathématiques


Ces collaborations concernent exclusivement les relations dynamiques entre la base et la face et leur évolution au cours de la phylogenèse.


En paléontologie

Dès la parution du premier article dans les comptes rendus de l'Académie des sciences en 1988, le paléontologue Jean CHALINE me propose d'intégrer son équipe, m'associant à des programmes de morphométrie géométrique.

Les scanners médicaux sont encore exceptionnels. Les mesures en 3D emploient la méthode Procruste, ou la morphométrie géométrique, qui enregistre des points anatomiques dans un champ magnétique permettant ainsi l'acquisition numérique d'une forme. Les comparaisons permettent de mesurer les changements morphologiques au cours de la croissance d'une espèce et d'objectiver les changements de trajectoires de croissance entre espèces. La morphométrie géométrique confirma les changements angulaires décrits dans ma thèse.

Les paléontologues associés sont Jean CHALINE, Didier MARCHAND†, Bruno DAVID (actuel directeur du Muséum national d'Histoire naturelle), Bernard LAURIN, Françoise MAGNEZ-JANNIN, Frédéric COURANT et un doctorant Jean-Jacques MILLET.


En stomatologie et radiologie

La collaboration avec Marie-Josèphe DESHAYES en stomatologie et radiologie a débuté en 1988, elle a permis d'appliquer les connaissances de l'orthopédie dento-faciale aux grands singes actuels et aux homininés fossiles, comme l'équilibre cranio-palatin et l'occlusion qui changent en fonction du degré de flexion de la base (téléradiographies des collections d'anatomie comparée du Muséum national d'Histoire naturelle).


En scanométrie

La scanométrie devient possible à la fin des années 90 grâce à deux étudiants en médecine dont j'encadrais le DEA (Université Paris V) : le Dr. Fabienne LALLOUET et le Dr. Jean-Pascal MARTIN associé au Pr. Eric de KERVILER, chef du service de Radiologie de l'hôpital Saint-Louis, Paris.

Les scanners ont été appliqués au crâne de Qafzeh 6, un des plus vieil Homo sapiens fossile (95000 ans, Israël), de Sambungmacan (un Homo erectus de Java), aux crânes de gorille, de chimpanzé, d'orang-outan et des fœtus d'Homo sapiens et de gorille.

La collaboration se poursuit avec le Dr. Fabienne LALLOUET.


En modélisation

Depuis 2009, la collaboration à l'Université de Technologie de Compiègne (UTC), avec Bruno Ramond, responsable du Centre d'Innovation, puis Marie-Christine HoBatho, directrice de l'Unité de Recherche BioMécanique et BioIngénierie (BMBI), a permis la reconstitution de la base crânienne d'un Homo erectus chinois disparu pendant la seconde guerre mondiale (l'Homme de Pékin, grotte de Zhoukoudian).

Anne Dambricourt Malassé à gauche, Bruno Ramond au centre, Marie-Christine HoBatho à droite

Université de Technologie de Compiègne, 2011

Photo © Joëlle Dautricourt

En biomathématique

La mise en évidence de relations dynamiques entre le centre de la base et la face, formalisées par des angles – de profil et transversalement – introduit la science des systèmes dynamiques complexes dans la modalisation de leur évolution. Les systèmes dynamiques fonctionnent en réseau.

En 1989, la théorie du chaos, ou des systèmes dynamiques non-linéaires, était en vogue avec Ilya PRIGOGINE notamment et les structures dissipatives. Il en était question avec le Dr. M.J. DESHAYES pour des raisons évidentes de prédiction croissance, ainsi qu'avec Jean CHALINE, qui avait intégré la dimension dynamique de la morphogenèse cranio-faciale.

Des bifurcations (les seuils de fermeture angulaire) et la non-linéarité (l'émergence de nouvelles morphogenèses embryonnaires par équilibre ponctué) sont constatées par les mesures et l'anatomie comparée. Cependant l'évolution de la contraction cranio-faciale – une dynamique embryonnaire – ne montre pas ce à quoi l'on aurait dû s'attendre si les mutations avaient été de simples erreurs de copie lors de la gamétogenèse (postulat du néo-darwinisme) ou des fluctuations aléatoires aux effets imprévisibles (théorie du chaos). Au lieu de voir émerger des trajectoires internes imprévisibles, voire désorganisées par des pertes aléatoires d’informations génétiques, les fossiles (et les espèces actuelles qui ont conservé leurs trajectoires) montrent la réitération d'une évolution constatée des millions de générations plus tôt, à savoir, une augmentation de la durée et de l'amplitude de la contraction et du redressement axial ainsi que la conservation des corrélations angulaires en 3D.

C'est donc la reproductibilité de la trajectoire évolutive, à chaque bifurcation (seuil angulaire), qui explique l'émergence de notre anatomie "sapiens" redressée. Il est bien question d'une évolution vers un nouvel état d'équilibre à chaque seuil, mais la reproductibilité des effets dynamiques (amplification du redressement et de la contraction) contredit les bifurcations aléatoires prévues par le modèle des attracteurs chaotiques.

La modélisation de l'évolution de la dynamique des réseaux moléculaires lors de la gamétogenèse ne correspondrait pas à un attracteur chaotique, ce serait un "attracteur étrange" comme le nomment les mathématiciens, qui ressemblerait à une fractale.

Il était donc nécessaire d'avoir l'avis de biomathématiciens sur cette évolution d'un nouveau genre, qui suppose la mise en mémoire dans les gamètes, de processus d'auto-réorganisation activés à des seuils imprévisibles de complexités croissantes.

En 1991, je présente le protocole métrique et les résultats au colloque annuel de la Société Française de Biologie Mathématique, ainsi que le nom que j'ai choisi pour cette famille d'attracteurs étranges: les attracteurs harmoniques. La Société de Biomathématique me propose la publication de la démonstration (trois numéros de sa revue). J'envoie un exemplaire du préprint au mathématicien René THOM, lauréat de la médaille Fields (le prix Nobel des mathématiques), comprenant que son approche mathématique de la morphogenèse correspond aux observations. En 1992 le CNRS est en quête d'experts pour ma titularisation, René THOM figure sur la liste des scientifiques qualifiés. Après de longues heures de discussion à l'Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES), il me remet l'exemplaire annoté de sa main et envoie son avis officiel au CNRS (voir un extrait sur Agréments).

DAMBRICOURT MALASSÉ, A., 1992. L'hominisation et la théorie des systèmes dynamiques non linéaires (Chaos). Revue de Biologie Mathématique, Société Française de Biologie Mathématique, Tome XXX, n°117, n°118, n° 119.

En 1992, une collègue de mon laboratoire, Josette RENAULT-MISKOVSKY†, me met en relation avec Régis FERRIERE, jeune mathématicien de l'École normale supérieure (ENS). Le questionnement d'un nouvel attracteur étrange s'avère pertinent, je découvre que ce type d'attracteur est classé dans les "monstres".

En 1993 je participe au séminaire annuel de la Société Français de Biologie Théorique (SFBT) et publie les arguments d'une distinction entre les attracteurs chaotiques et les attracteurs étranges qui se dégage de la courbe des équilibres ponctués (seuils angulaires) visibles si l'on dispose de très longues durées géologiques.

DAMBRICOURT MALASSÉ, A., 1995. Les attracteurs inédits de l'hominisation. Ontogenèse fondamentale, attracteurs chaotiques et attracteurs harmoniques. Actes du Séminaire de la Société Francophone de Biologie Théorique, Acta Biotheoretica, 43: 113-125.

En 1994, je rencontre un astrophysicien, Eric BOIS, expert des systèmes dynamiques non-linéaires, et un projet de collaboration prend forme dans le cadre d'une association, "le Groupe des Plasticiens" (devenu "Plasticités Sciences Arts"), qui se réunit à Paris à l'Institut de Paléontologie Humaine. Les astrophysiciens s'intéressent au fait que l'univers se soit développé selon des principes de complexité qui le rendent observable et qu'ils nomment "le principe anthropique". La recherche scientifique de vies ou de civilisations extra-terrestres s'appuie sur ce principe. Il est intéressant de confronter les deux points de vue, puisque la complexité croissante est aussi le moteur du redressement neural embryonnaire qui permet précisément l'émergence de cet observateur, alors que des comportements de type chaotique (aux seuils de complexité) ne l'auraient pas permis.

En 1996, Eric BOIS m'invite donc à une école thématique du CNRS en astrophysique, sur les systèmes chaotiques dans le système solaire, réunissant une centaine de participants avec 11 intervenants de France, d'Espagne, de Belgique et des USA (Harvard Smithsonian Center for Astrophysics, Cambridge). Nous étions d'accord sur le titre et la présentation fut publiée.

DAMBRICOURT MALASSÉ, A., 1996. Les principes premiers de l'émergence de l'être humain. Du principe anthropique aux attracteurs harmoniques. In: Chaos et fractales dans l'activité solaire, Chapitre III. Ed. J.P. Rozelot. École thématique du CNRS, 20-24 mai: 214-228.

En 1996, Yves COPPENS m'invite à sa chaire du Collège de France pour comparer la courbe de complexité croissante du paléontologue Pierre TEILHARD de CHARDIN et la trajectoire évolutive de la contraction cranio-faciale – provoquée par la complexité croissante de la neurogenèse embryonnaire. Les deux courbes invalident la généralisation de deux paradigmes évolutionnistes, le néo-darwinisme et le chaos déterministe qui prédisent l'évolution stochastique des cellules germinales, elles auraient dévié de manière imprévisible la trajectoire embryonnaire.

La formalisation se poursuit pour comprendre ces mécanismes aux premiers niveaux d'organisation des systèmes dynamiques complexes (lors de la gamétogenèse et au moment de la fécondation). C'est une nécessité puisqu'elle concerne notre identité évolutive de vertébrés au tronc cérébral redressé.

Un film documentaire de Thomas JOHNSON

En 2002, le grand reporter français Thomas JOHNSON prépare un documentaire sur la bipédie du bonobo. Je mets à sa disposition toutes les informations sur les congrès internationaux et il s'adresse aux chercheurs hautement qualifiés qui connaissent ma recherche, ou qui ont co-signé ou validé la courbe phylogénétique du redressement et de la contraction cranio-faciale : Phillip TOBIAS (Afrique du Sud), Jean CHALINE, Didier MARCHAND, Yves COPPENS (Collège de France), Marie-Josèphe DESHAYES, Henry de LUMLEY, WU XINZHI (Chine) et Robert GUDIN. Certains apparaîtront dans le documentaire.

Ce projet, bien documenté et renseigné sur la diffusion internationale de ma recherche, est devenu le film Homo sapiens, une nouvelle histoire de l'homme. J'expose la morphologie comparée des crânes et des mandibules, les protocoles de mesure. Thomas JOHNSON tenait aux retrouvailles avec Phillip TOBIAS (1989) et WU XINZHI (1999). Avec TOBIAS nous sommes filmés discutant du sphénoïde d'un Australopithèque, un crâne en main et reprenant la conversation de 1989 suivie de sa validation devant 230 spécialistes de 17 nationalités différentes. Il fut question d'anatomie et de morphométrie comparées, de contraction cranio-faciale bien objectivée. L'approche mathématique avec les attracteurs étranges n'a pas été abordée dans ce documentaire pour grand public.

Que l'attracteur inféré à chaque seuil angulaire soit nommé ou non, ne change rien aux données morphométriques et à leur succession phylogénétique en palier de flexion croissante avec des seuils, ni le constat de la conservation des corrélations angulaires, ni la découverte de mécanismes évolutifs qui renvoient à des propriétés de mémorisation. Cela ne change rien aux corrélations entre le redressement et le développement des capacités cognitives, du langage articulé, de la conscience réfléchie, de l'émergence de la pensée symbolique, du génie mathématique ou poétique, du questionnement métaphysique et éthique. De tous les attracteurs étranges, c'est précisément celui qui est le plus compatible avec la vision de Lamarck et de Darwin, celle d'une mémorisation des transformations pour expliquer la stabilité de leur transmission.