La Légende Maudite

Anne Dambricourt Malassé

La légende maudite du vingtième siècle

Anne Dambricourt Malassé


Éditions La Nuée Bleue, Strasbourg, 2000.


La légende maudite du vingtième siècle est mon premier livre, rédigé entre 1999 et 2000 à l’invitation de Christiane Roederer, Présidente de l’Académie des Arts, des Sciences et des Lettres d’Alsace et Présidente honoraire de la Société des Écrivains d’Alsace, pour sa collection "Objectif demain" aux Éditions La Nuée Bleue à Strasbourg. La préface est de René Lenoir (1927-2017), ancien secrétaire d’État à l’action sociale et auteur de l'ouvrage Les Exclus.

Je n’aurais jamais imaginé être dans l’obligation d’écrire ce genre de littérature avec un tel titre. Mais ainsi va la vie qui trace des destins.

S’il m’a été proposé de le rédiger, c’est pour une noble raison que toute conscience libre se doit d’entreprendre, lorsqu’une découverte sur les processus à l’origine de notre anatomie et de notre conscience, devient l’objet d’une destruction planifiée. Tous les ingrédients sont réunis : la calomnie, le mensonge et le déni, le mépris des institutions et de la reconnaissance par les pairs. Et ce livre n’a pas suffi, comme nous le verrons avec le film documentaire de Thomas Johnson Homo sapiens, une nouvelle histoire de l’homme diffusé sur Arte en octobre 2005.

Première de couverture : La Chute des damnés de Dirk Bouts (1470)

et sous-titre "L’erreur darwinienne" choisis par l’éditeur.

Mon livre relate les faits vérifiables d’une stratégie idéologique visant à nier la découverte scientifique reconnue par les pairs les plus autorisés (voir Agréments). La découverte est l’origine embryonnaire et phylogénétique du redressement du système nerveux visible au centre de la base du crâne, qui a fini par atteindre un premier seuil de verticalité et donc un mode de locomotion exclusivement bipède. Et cette angulation a continué d’évoluer jusqu’à notre modernité. C’est la bipédie qui s’est adaptée au degré de verticalité axiale et qui s’est modifiée en même temps que l’angulation a continué d’évoluer entre la première espèce du genre Homo et sapiens. La complexité croissante du système nerveux est le moteur du redressement embryonnaire, donc la cause de l’apprentissage de la marche exclusive après la naissance. Elle est la cause de la complexité psychomotrice qui accompagne l’émergence de la réflexion consciente d’être un corps avec l’avènement de la conscience de soi et du monde, la réflexion consciente de l’altérité.

Cette découverte fut présentée dans des congrès internationaux dès 1989 (voir Congrès internationaux).

Par ailleurs, je constate un lien logique entre le redressement du système nerveux et l’émergence du questionnement de l’identité du corps-conscient, ce processus apparaît avec les hommes préhistoriques et s’est maintenu jusqu’à nos développements individuels : je suis qui, qui me signifie, comment répondre, quel langage symbolique répond. Je ne suis pas un robot programmé mais une conscience éduquée et je cherche le sens de ma vie qui n’est donc pas programmé.

Lorsque le questionnement est personnel, il n’est plus scientifique et je ne le poursuis pas en sciences. Je le découvre au fil des ans dans l’altérité et les grandes expériences vécues par d’autres chercheuses de sens – expériences impossibles sans une prise de risque et dans le confort des idées bien rangées. Cette altérité-là connaît le courage, le sacrifice, le don de soi et la confiance.

La diffusion de ma recherche et du questionnement personnel qui l’accompagne, suscite un intérêt humain naturel. J’ai donc connu une première phase de médiatisation importante en France entre 1994 et 1997 (revues, France Culture, La Recherche, Le Cercle de Minuit, éditorial de Jean-François Khan dans l’EJ, des propositions de textes littéraires) et je m’y suis prêtée en plaçant ma confiance dans cette altérité. C’est alors que des phénomènes d’une toute autre nature ont commencé à s’éveiller, des processus qui s’organisent dans l’ombre et visent à nous atteindre dans le dos. Ce ne sont pas des comportements de prédateurs, ce sont des comportements propres au psychisme humain.

En mars 1996, Yves Coppens m’invite au Collège de France afin d’expliquer les correspondances scientifiques entre ma découverte et la courbe de complexité/conscience croissante décrite par le paléontologue Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955). J’étais secrétaire générale de la fondation qui porte son nom, elle est hébergée au Muséum national d’Histoire naturelle pour des raisons naturalistes et scientifiques, et donc reconnue d’utilité publique.

Certains ont vécu cette invitation comme une intrusion spiritualiste d’une pensée mystique, ignorant que Teilhard est reconnu en science pour cette courbe, sans rapport avec sa vision christique de l’évolution "d’alpha en oméga". Ce fut suffisant toutefois pour assister à une invective adressée à Yves Coppens de la part de son maître de conférences, Pascal Picq, le sommant de choisir son camp, Darwin ou Teilhard. Yves Coppens répondit qu’il était d’accord avec "presque" tout. Le "presque", c’est le rôle du milieu. Dans l’esprit de Lamarck et de Darwin, son obligé, c’est l’extension de la savane sur la forêt qui a contraint la marche à devenir exclusive. Or, comme je le montrais, le moteur physique du redressement est embryonnaire et n’a rien à voir avec la nécessité de marcher plus longtemps entre les arbres ou sur des branches. Darwin n’avait donc pas trouvé la bonne explication et Teilhard non plus, puisqu’il ne s’était pas posé la question. Il n’est jamais descendu plus bas que le cerveau. La courbe de Teilhard est donc correcte dans ses grandes lignes puisque le cerveau est la partie émergée de la complexité du système nerveux, mais elle n’est pas une explication scientifique, c’est un constat. Par ailleurs, la sélection naturelle n’est pas le sujet de ma recherche, qui est la complexité d’un organisme et les mécanismes de sa croissance au cours de l’évolution.

La réponse d’Yves Coppens a déplu, il aurait dû être en "désaccord" avec presque tout. En quelques semaines des associations en lutte contre les religions se mobilisèrent avec une stupéfiante instrumentalisation de la théorie de l’évolution. Une première vague de censure idéologique se mit en place en dehors des instances académiques, infiltrant des médias comme Le Nouvel Observateur (août 1996), Sciences et Vie (janvier 1997) et Le Monde (1997) et organisant des colloques non-institutionnels comme en 1997 et surtout en 2000, en s’en prenant directement à ma personne. Tout est nié : les protocoles innovants, les mesures, les statistiques, les congrès, les articles dans des revues à comité de lecture, la diffusion internationale, et tout cela dans le mépris le plus total des avis officiels avalidés par le CNRS bien plus qualifiés que les chercheurs recrutés pour l’occasion (voir Agréments).

Christiane Roederer et René Lenoir avaient conscience de la gravité du phénomène. Que l’on ne s’étonne donc pas de ma réactivité à avoir accepté l’invitation, en découvrant tous les vices cachés organisés pour tenter de m’intimider, au lieu d’un réel débat en contexte académique. Celui-ci aura lieu quatre années plus tard, en 2004, à l’Académie des sciences, et il a été filmé précisément par Thomas Johnson pour l’introduction de son documentaire.

L’éditeur imposa la couverture et le sous-titre "L’erreur darwinienne", ce qui n’avait aucun sens. Le titre devient "L’erreur darwinienne, une légende maudite ", ou "Darwin avait raison". Or la sélection naturelle n’est pas le sujet de ma recherche qui s’intéresse à l’auto-organisation de la complexité.

Le sens du livre est une réflexion sur les motivations profondes de la censure depuis ma conférence au Collège de France, une volonté d’empêcher toute recherche sur la signification de l’émergence de la conscience et de son autoréflexion toujours plus étendue au cours de l’hominisation.

S’il ne s’agissait que de science, ma personne n’aurait jamais été attaquée nommément. C’est la liberté de mon questionnement spirituel qui insupporte, alors que c’est le processus d’humanisation normal.

Dans la tradition biblique, les récits de l’Homme sur ses relations à ce qu’il nomme D.ieu sont des légendes et elles ne cherchent pas l’objectivité comme en sciences. Au contraire, c’est l’Homme qui se cherche à travers les liens qu’il partage avec les vivants et les morts, avec le cosmos et la météo, c’est une réalité vivante avec un langage symbolique qui a évolué au fil des millénaires.

J’ai compris en lisant Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss, que la mort des dieux est la mort de l’Homme. Le dieu ou le symbole, c’est L’Homme, ou l’expression symbolique en l’humain, du sens de sa nature et de ses liens, elle transcende le fardeau du quotidien et la mort promise à tous. Les chamanes le savent avec leurs danses, leurs chants, les attributs vestimentaires et rythmiques, c’est leur nature profonde.

Tuer dans l’œuf toute nouvelle symbolique du sens qui nous relie corps et conscience à l’histoire de la vie terrestre et de l’univers, c’est provoquer délibérément l’extinction de la fragile humanisation de la conscience, ou expression symbolique de sa nature complexe et intriquée.

La mort de D.ieu, ou la mort de l’Homme, relève de la même tragédie terrestre, et cette mort reste une légende. Elle est maudite puisqu’elle a pour conséquence la disparition dramatique de toute symbolique censée nous relier corps et conscience à la genèse de l’univers et à son histoire interne jusqu’à la biosphère.

Il n’y pas d’orgueil à se relever avec cette prise de conscience, au contraire. Ainsi la pensée symbolique peut-elle poursuivre son cheminement à travers la complexification de nos civilisations, quand bien même celles-ci portent des germes mortifères qui viendront contrarier son cheminement. C’est alors que se pose la question du choix des engagements, du sens de la responsabilité, du don de soi porté par une conviction profonde que l’altérité, ce n’est pas "rien".

La malédiction n’est pas non plus le fait d’un accident, elle est fille du mensonge. Il aura fallu que je l’expérimente pour en témoigner. Le fruit n’est pas défendu, c’est le mensonge qui se nourrit de sa chair. Dès lors qu’on le sait, il suffit de l’extirper à la vue de tous et de s’en libérer, de l’exorciser.

La censure idéologique consiste à faire croire que notre corps redressé, et notre conscience réfléchie, n’ont aucun lien avec la complexification du système nerveux depuis les premiers vertébrés, alors que c’est le contraire. Et cette complexification est dans le continuum de la complexité croissante des pluricellulaires, elle-même dans le continuum de la complexité croissante des arrangements atomiques et moléculaires depuis la genèse de notre univers.

Mon livre décrit cette censure, honteuse pour la science. Il est dédié, en particulier, à la mémoire de deux oncles victimes de la barbarie idéologique, Pierre Beirnaert-Dambricourt, résistant, dénoncé et torturé par les nazis dans les prisons de Loos (Nord) avant de mourir le 24 avril 1945 à 30 ans dans le camp de Scheless en Tchécoslovaquie, et Jean-Claude Gaudet, victime d’une rafle et envoyé par le dernier train nazi dans les camps pour y mourir le 1er juillet 1946 à 21 ans.